jeudi, mars 06, 2008

Le Roi des Pirates.

Des pirates. Tous. L'industrie du disque n'en démordra pas. Les corsaires sont partout. Et elle risque fort d'en voir encore un peu plus. Surtout depuis qu'un capitaine flibustier a décidé de la dynamiter de l'intérieur.

La chasse aux téléchargements pirates est en train de créer un effet secondaire. De nouvelles pratiques autrefois réservées aux seuls Geeks se démocratisent. Des pratiques qui s'appuient sur des technologies de cryptage à tout va qui ne tarderont pas, d'après les spécialistes, a donner des cauchemars aux Majors.

Un FAI britannique estime par exemple que 40% des utilisateurs de torrent sont "cachés". Et ce n'est visiblement rien par rapport à ce que demain nous réserve :
[ce type de] cryptage ne concerne en rien les données échangées, et surtout ne permet pas de masquer qui télécharge quoi. Ce genre de cryptage est encore réservé à des logiciels de pointe tels que Share, Mute, AntsP2P ou Napshare (basé sur Mute). Ceux-là sont encore, pour le moment, relativement confidentiels, mais sont effectivement promis à un grand avenir si les politiques de sanctions continuent.
Mais depuis la semaine dernière, ce sont les artistes eux-même qui s'y mettent.

In Rainbow

Radiohead avait ouvert la voie avec In Rainbow. L'album était proposé en téléchargement pour un prix entièrement fixé par l'acheteur (y compris la gratuité totale si celui-ci le décidait). L'expérience est, d'après les dire du groupe, un succès. Radiohead a en effet amassé un bénéfice record avant même la sortie en CD.

Les maisons de disques, ainsi court-circuitées, ne pouvaient rester sans réaction. Pour elles, seuls des groupes déjà connus peuvent se payer le luxe de la vente directe, qui par ailleurs casse la redistribution des ressources entre "grands" et nouveaux talents. En résumé : Radiohead tuerait ses successeurs.

Il faut croire que l'argument laisse de marbre une partie du milieu, y compris celle qui produit et cherche en permanence de nouveaux talents. En premier lieu Trent Reznor.

L'homme orchestre de Nine Inch Nails avait déjà jeté une première pierre dans le jardin des industriels en produisant, sur ses propres deniers, un Saul Williams, alors jeune slammer américain inconnu du grand public.

Inévitables ascensions et chutes de la compréhension des Majors.

En plus de sa créativité débordante et des arrangements "industriels", atypiques pour ce genre musical, Reznor décida, avec son poulain, que 100.000 exemplaires de "Inevitable Rise and Liberation of Niggy Tardust" (en référence à Bowie) seraient mis en téléchargement gratuit.

Par la suite, c'est à dire aujourd'hui, l'album serait en vente sur le site de Saul Williams pour 5$ ... soit 3,5 Euros.

Face à un prix aussi bas, les Majors décidèrent que ce lancement était un échec puisque seuls 18% des exemplaires ainsi écoulés étaient payants.

"Oui mais..." disent les auteurs, le slammeur a ainsi écoulé plus de 100.000 albums à travers le monde utilisant le mp3 comme outil de promotion pour sa tournée qui aura, de ce fait, certainement plus de public que si l'artiste n'avait vendu que 20.000 disques à 20 Euros.

Deuxième pierre...

"Avez-vous vu le prix des CD baisser ? Non ? Alors volez-les !"

Ces propos incendiaires ne sont pas ceux d'un anarchiste allumé mais ceux d'un Trent Reznor excédé lancés à son public en plein concert.

Coup de pub ? Certainement.

Mais contrairement à System of A Down avec l'album "Steal This Album !" (trad : "Volez cet Album !"), Nine Inch Nails allie le geste à la parole.

Et les maisons de disques voient un peu tard, et pour la première fois, le mouvement se faire entièrement sans elles :
Le contrat de Nine Inch Nails avec Interscope, [...], a pris fin en octobre. Depuis, Interscope a lancé un album remixé intitulé Y34RZ3R0R3MIX3D [NDA : "Year Zero Remixed" en langage Leet], et détient les droits de distribution d’un Best-Of.
Extrait de Canoe.com.

... avant le gros rocher.

Le 2 Mars 2008, à 21h précise, NIN va jusqu'au bout de sa logique. Le nouvel album, enregistré avec Adrian Belew (ex-guitariste de Bowie) se retrouve... sur Pirate Bay.

Avec le mot suivant :
Now that we're no longer constrained by a record label, we've decided to personally upload Ghosts to various torrent sites because we believe BitTorrent is a revolutionary digital distribution method, and we believe in finding ways to utilize new technologies instead of fighting them.

We encourage you to share the music of Ghosts with your friends, post it on your website, play it on your podcast, use it for video projects, etc.

We've also made a 40 page PDF book to accompany the album. Download it for free, visit http://ghosts.nin.com/main/pdf

Et ce n'est pas tout. Reznor donne une leçon aux Majors. L'homme a le sens du marketing. Il vend. Beaucoup.

Sur le site de NIN, plusieurs "packages" sont en effet proposés.
Pour 0$, vous pouvez télécharger les neuf premières chansons du disque [plus le livre pdf].

Pour 5$, vous obtenez les 36 pièces en mp3 plus le livre pdf.

Pour 10$, [...] les 36 pièces en mp3 et le livre pdf. L'album double dans sa version physique sera ensuite envoyé le 8 avril.

Pour 75$, [...] un coffret comprenant les deux disques, un DVD des 36 chansons en format multipistes (pour créer des remixes), un Blu-ray avec Ghosts en stéréo haute définition [plus le livre pdf]. Le tout vous sera expédié le 1er mai. [...]

Pour 300$, [...] vous recevrez [...] le forfait à 75$, plus un vinyle et deux affiches. Ce coffret édition de luxe sera limité à 2500 exemplaires signés par Trent Reznor.
Recopié de ce très bon résumé du blog canadien Scène Locale.


Résultat : à peine une semaine après la mise en ligne (et donc deux mois avant la réalisation effective du coffret le 1er Mai), les 2500 exemplaires à 300$ sont épuisés.

Ou comment s'auto-produire grâce à un excédent de trésorerie...

Et la musique dans tout ça ? Exérimentale. Instrumentale.

Bien sûr les majors diront que c'est de l'ultra-marketing (alors que c'est du néo-marketing) que c'est un groupe particulier (alors que c'est un groupe précurseur), que la gratuité ne concerne que le premier CD d'un coffret de quatre. Certains diront même que cette expérience musicale n'aurait pas pu être vendue comme un produit normal.

Gageons cependant que les maisons de disques auraient tout de même essayer de le vendre sans prévenir le client de la teneur originale du contenu.
Là, au moins, si l'auditeur n'aime pas, il le sait et il ne se retrouve pas avec un pavé sur les bras et 70 Euros en moins dans la poches.

Nouveau "Business Model"

Finalement, derrière le "piratage" se cache un nouveau business model. C'est en tout cas ce que dit Trent Reznor. Le marketing des professionnels de demain utilisera le P2P, la gratuité (qui existe quoi qu'on en dise même si elle a une contrepartie : ici inciter à acheter un objet collector), et ne pourra vendre que s'il propose un "plus produit" significatif (comme un service, avec les masters de l'album précédent, ou un bel objet, comme l'exemple du coffret à 300 $).


Trent Reznor laisse le choix d'écouter et libre court à la créativité de ses fans.

Et ça marche.
La preuve.
En une semaine, le Roi des Pirates est devenu l'artiste le plus respecté de la toile.




Songza




Pour aller plus loin :

Le "player" NIne Inch Nails :




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2 Comments:

At 31 mars, 2008 03:56, Blogger Anna said...

Je te sens comme Don Quichotte de la Mancha sur ton cheval blanc face aux moulins moulineurs que sont les grosses boites de promo et les cons d'artistes. Mais j'aime le courage et la persévérance. Et puis allier lutte et plaisir (je veux dire que ton billet n'aurait pas eu la même saveur si ça avait été Tokyo Hôtel) ça c'est du quiffe!!
C'est la lutte finale, contre nous...

 
At 02 avril, 2008 03:49, Anonymous Anonyme said...

ah! enfin une chronique. c'était long.
manque quand même la transition capillotractée entre le thème du pirate et une chanson en streaming (là j'aurais bien vu peut être "argent trop cher" "video killed the radio star" ou "pirate love" des New York dolls (évidemment sur deezer c'est pas garanti)...

au fait, n'y a-t-il pas eu Prince aussi, qui a laissé un disque en téléchargement gratuit?

condoléances aussi aux utilisateurs de torrentspy, qui a fermé.

 

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